Rembrandt possédait une importante collection d’œuvres d’art d’autres artistes, dont 34 albums d’arts graphiques, ce qui équivaut à environ quatre mille pièces. Cette collection constitue un formidable répertoire de sources visuelles pour Rembrandt. Son choix de certains thèmes, en particulier issus de la Genèse, est parfois directement influencé par l’exemple des gravures de grands maîtres. C’est le cas pour sa gravure d’ « Adam et Ève » qui est une réponse aux gravures célèbres sur le même sujet de Dürer (1504) (voir inv. E 97-0479), Marcantonio Raimondi d’après Raphaël (vers 1512-1514) (voir inv. E 0039), Lucas de Leyde (1529) (voir Londres, British Museum, inv. 1849,1027.7 : https://www.britishmuseum.org/collection/object/P_1849-1027-7) et Hendrick Goltzius (1585) (voir Londres, British Museum, inv.F,1.149 : https://www.britishmuseum.org/collection/object/P_F-1-149). La vision de Rembrandt ne ressemble en rien à ces précédents et a déstabilisé ses contemporains. Les corps ne sont pas idéalisés. Presque laids, ils anticipent la souillure du péché. Ève occupe le centre ; l’ombre projetée du dragon/Satan, qui possède ainsi symboliquement son corps, souligne plus qu’elle ne cache son ventre et son sexe dont sortira l’humanité et fait écho au commentaire de Calvin : « maintenant la dépravation s’était diffusée dans toutes les parties de son âme ainsi que de son corps » [1]. En outre, Rembrandt représente le serpent tentateur sous la forme d’un dragon repris de la gravure au burin de Dürer « La Descente du Christ aux limbes » de 1512 (voir New York, Metropolitan Museum, inv. 59.534.53 : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/391191). Cette référence, qui n’aurait pas échappé au public de Rembrandt, permet de rappeler visuellement la conséquence théologique ultime de la première scène : la victoire du Christ sur Satan et son rachat de l’être humain, puisque, selon les traditions apocryphes inspirées de la Première épître de Pierre, la première action du Christ après sa mort, et avant sa résurrection, est de délivrer Adam et Ève des limbes et de les rétablir au Paradis [2]. Le MAH ne possède pas la gravure originale mais trois copies (inv. E 2009-0054, E 2014-1472 et E 2014-1473) qui proviennent du « Recueil de quatre-vingt-cinq estampes originales... par Rembrandt », dit « Recueil Basan » édité par Pierre François Basan (1723-1797) entre 1789 et 1797 à partir des planches originales retouchées et complété par d’autres planches d’artistes inspirés par l’œuvre de Rembrandt et ayant copié les gravures manquantes. [1] Jean Calvin, Commentaire sur le premier livre de Moïse appelé Genèse, cité dans Shelley Karen Perlove, Larry A. Silver, Rembrandt's Faith: Church and Temple in the Dutch Golden Age, University Park : Pennsylvania State University Press, 2009, p. 71-74 (traduction de l’auteur). [2] Rembrandt et la Nouvelle Jérusalem : Juifs et chrétiens à Amsterdam au siècle d'or, cat. exp. Paris, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 28 mars 2007 – 1er juillet 2007, Paris : Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 2007, cat. 127.