[Texte de Rainer Michael Mason, accompagnant l'oeuvre]: Le livre d'artiste, l'"artist book", est un genre qui prit corps au début des années soixante, aux Etats-Unis, par exemple dans l'oeuvre d'Edward Ruscha (1973), et parallèlement en Europe, ainsi chez Dieter Roth (1930-1998). Depuis, il est devenu objet de collection (conservé par les cabinets d'estampes) et d'exposition. Réalisé selon les modes simples de la production industrielle (offset, brochage agrafé) et plutôt de petit format, il met l'accent sur l'image bien plus que sur le texte et vise à une diffusion plus large que le traditionnel livre à gravures (Picasso, Matisse). L'esprit de liberté qu'il véhicule pourrait se rattacher à celui de l'avant-garde russe et de dada, en Allemagne: on regardera ici les "lubki", comme "Mirskontsa" (1912), et "Die Kathedrale" (1920) de Kurt Schwitters. Ce dernier peut justement passer pour l'un des pères lointains des pratiques artistiques de Thomas Hirschhorn (1957), qui tiennent de l'assemblage et de collage. Hirschhorn recourt aux matériaux triviaux et souvent de rebut, tels le carton ondulé, le papier d'argent, le bois, le plastique transparent, le "scotch tape" large et brun, auxquels s'allient presque toujours les coupures de presse avec leur flot plus neutralisant qu'alarmant de photographies et d'articles. Avec cela, l'artiste suisse de Paris produit des pancartes, des vitrines et des baraques comme autant de sculptures, d'environnement et de panneaux d'affichage (sauvage) où le monde se contracte ou/et s'éparpille. Ces objets sont mêlés, abandonnés à la précaire destinée urbaine, reliés entre eux par des conduits d'aluminium: solitaires/solidaires, comme dit le jeu de mots? En tout cas, dans la persistance du dérisoire et des hiatus mis en scène, ils véhiculent un sens, une mise en question politique (et poétique), un enregistrement de réalités proches et/ou lointaines. Cet art de "bouts de ficelle", du "quart-monde" chez les nantis, d'artisanat rusé, de choses envoyées d'un coup de balai sous le tapis, est sans conteste un art de la "présentation" (mais de quoi? de quelque chose qui perce aux marges de la société et de l'art, qui se faufile entre, qui s'infiltre au sein - de ce qui semble global et acquis). Ce n'est dès lors pas sans raison que Thomas Hirschhorn a choisi de rassembler, suivant le mouvement même de son oeuvre, "33 expositions [je souligne] dans l'espace public, sous la forme de documents collés sur des morceaux de carton ondulé brun, annotés et commentés au stylo-bille, en allemand et en français. Cette maquette originale a été restituée en offset (4 couleurs); l'enluminure, en sérigraphie, est venue en surimpression. De ce recueil souple la SGG délivre à ses membres une double édition: l'une aux enluminures en or, l'autre en argent, légèrement moins bien imprimée, et qui constitue, conformément aux habitudes des bibliophiles amateurs de curiosités rares, une classique modalité "refusée". Faut-il interprêter?