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par Nicolas Morel
L’aura dont jouit l’Institut et Musée Voltaire auprès des dix-huitièmistes de tous horizons n’est pas toujours suffisante pour devancer les inconditionnels de Voltaire qui arpentent avec avidité les différents sites d’enchères. Cette concurrence acharnée, argentée et manifestement peu sensible à la notion de patrimoine public rend délicate toute opération d’acquisition, et c’est précisément l’histoire de l’une de ces occasions manquées qu’il m’est donné de présenter ici. Je vais donc vous parler d’une œuvre pour ainsi dire faite pour notre Institut et que vous n’y verrez malheureusement jamais : un portrait de Voltaire aux Délices daté de 1758 et attribué à un pastelliste lausannois, Mathias-Antoine de Wyl.
Passons outre les regrets, ces quelques lignes ne sont pas uniquement destinées à vous faire partager notre profonde amertume. L’histoire de ce tableau nous dévoile en effet quelque chose de beaucoup plus intéressant concernant notre grand philosophe des Lumières, à savoir le rapport parfois conflictuel que Voltaire pouvait entretenir avec sa propre image. La correspondance qui traite de ce portrait tend en effet à nous présenter un Voltaire soucieux de son aspect, inquiet de sa « maigre effigie », et dans tous les cas fâché de la représentation que de Wyl a faite de lui. Voltaire ne serait-il en fin de compte qu’un vain coquet ?
Prenons quelques précautions avant de faire de Voltaire un chantre de la superficialité. Au départ, la démarche de se faire « croquer » par un pastelliste est tout à fait normale, ce d’autant plus que l’Académie lui réclame un portrait. Dans une lettre à d’Argental, il écrit en effet: « Pour comble de bénédiction, il nous vient un peintre assez bon. Il ne peint qu’en pastel. Il travaillera sur ma maigre effigie, pour vous et pour les quarante. Il faudra une copie à l’huile pour mes confrères qui ne veulent pas de crayon. Vous aurez l’original mon cher et respectable ami, cela est bien juste »(1). Il appuie même son propos dans une lettre à Marie-Elisabeth de Dompierre de Fontaine : « Vous avez je crois ma maigre effigie que vous demandez pour l’académie et pour vous. Il y a dans Lausanne un peintre de passage qui peint en pastel aussi bien que vous : quelque répugnance que j’aie à faire crayonner ma vieille mine, il faut bien s’y résoudre et être complaisant »(2).
A priori, la réputation du peintre ne semble nullement mise en cause par Voltaire, et l’opportunité de recourir à ses services est loin d’être superflue. Pourtant, la fin de la phrase dénote déjà quelque réticence qu’il pouvait avoir à se faire tirer le portrait mais, à ce stade, il peut simplement s’agir d’une modestie feinte. Cette réticence va pourtant se matérialiser en franche animosité envers le peintre une fois le pastel réalisé. Le fameux peintre décrit par Voltaire devient désormais dans un courrier adressé à d’Argental « un gros et gras Suisse Barbouilleur en pastel »(3). Plus tard, sur le même ton, Mme Denis se plaint également dans une lettre au même d’Argental : « Nous vous avons envoyé un portrait dont je vous demande bien pardon. Mettez-le au grenier. C’est bien malgré moi qu’il vous est parvenu […] Heureusement Liotard, peintre que vous avez vu habillé en turc à Paris, s’est retiré à Genève, sa patrie, et va peindre mon oncle la semaine prochaine »(4).
Cette fois il ne peut s’agir de fausse modestie : le portrait est raté tant aux yeux de Voltaire qu’à ceux de sa nièce et la faute en revient exclusivement à l’artiste puisque un autre peintre, le célèbre Liotard, a été envisagé pour le refaire. Ceci règle-t-il pour autant la question de la prétendue coquetterie de Voltaire ? Il serait mal tombé, ou l’artiste aurait tout simplement manqué son affaire ? Un problème subsiste toutefois : admettons qu’il existe de bons et de mauvais peintres : si Voltaire connaissait la réputation de celui-ci, comment donc peut-il être autant surpris et fâché par ce pastel ? Cela semble indiquer un décalage entre l’image que Voltaire se fait de sa figure et l’esquisse capturée par de Wyl.
Ce n’est pas la seule occasion où Voltaire se montre critique envers un artiste qui l’aurait représenté. Souvenons-nous en effet de la lettre qu’il écrit quelques années plus tard au sujet de Jean Huber, à Mme du Deffand : « Puisque vous avez vu M. Huber, il fera votre portrait, il vous peindra en pastel, à l’huile, […], le tout en caricature. C’est ainsi qu’il m’a rendu ridicule d’un bout à l’autre de l’Europe »(5).Avec Jean Huber nous avons désormais deux peintres qui se sont attiré les foudres de Voltaire : ne serait-ce pas notre philosophe qui se montrerait trop exigeant envers ses artistes ? Ou peut-être touchons-nous ici un point sensible, qui dépasse le cadre de la simple coquetterie, et qui nous montre un Voltaire conscient du temps qui passe et qui, inéluctablement, dégrade le corps ? Si tel est le cas, pardonnons-lui ce petit pêché d’orgueil, et laissons-le donc conclure par ces quelques lignes à son ami d’Argental :
J’ajoute encore un petit mot sur ma triste figure. Je vous jure que je suis aussi laid que mon portrait. Croyez-moi. Le peintre n’est pas bon je l’avoue, mais il n’est pas flatteur. Faites en faire mon cher ange une copie pour l’académie. Qu’importe après tout que l’image d’un pauvre diable qui sera bientôt poussière, soit ressemblante ou non. Les portraits sont une chimère, comme tout le reste. L’original vous aimera bien tendrement tant qu’il vivra(6).
(1) D 7555, à Lausanne 5 janvier [1758]
(2) D 7571, à Lausanne, 10 janvier [1758]
(3) D 7727, aux Délices, 8 may [1758]
(4) D 7750, 7 juin [1758] des Délices
(5) D 17854, 10 août 1772
(6) D 7757, aux Délices, 16 juin [1758]
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