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Voltaire, à l’âge de quatre-vingt-quatre
ans, décide de se rendre à Paris. Voilà bientôt
trente ans qu’il n’a pas mis le pied dans la capitale
(Louis XV puis Louis XVI voyant d’un fort mauvais œil
l’installation éventuelle de cet esprit anti-religieux
non loin de Versailles) mais son âge et la stature que
les diverses affaires (Calas, Sirven, La Barre) lui ont acquise
auprès de la population le décident à franchir
l’interdit.
La cérémonie
parisienne du 30 mars 1778, nommée « triomphe de Voltaire » ou
encore « apothéose de Voltaire », telle qu’elle
nous est rapportée par Bachaumont, est très emblématique
de la ferveur, voire de la folie qui s’est emparée du peuple de
Paris lors de la visite du vieillard à l’Académie puis à la
Comédie-Française :
La cour, quelque vaste qu’elle soit, était remplie
de monde qui l’attendait. Dès que sa voiture unique
a paru, on s’est écrié : le voilà !
Les Savoyards, les marchandes de pommes, toute la canaille du
quartier, s’était rendue là, et les acclamations Vive
Voltaire ! ont retenti pour ne plus finir. A son entrée à la
Comédie, un monde plus élégant, et saisi
du véritable enthousiasme du génie, l’a entouré ;
les femmes surtout se jetaient sur son passage et l’arrêtaient,
afin de le mieux contempler. On en a vu s’empresser à toucher
ses vêtements, et quelques-unes arracher du poil de sa
fourrure.
(…) Le saint, ou plutôt le dieu du jour, devait
occuper la loge des gentilshommes de la chambre, en face de celle
du comte d’Artois. Madame Denis, madame de Villette étaient
déjà placées, et le parterre était
dans des convulsions de joie, attendant le moment où le
poète paraîtrait. On n’a pas eu de cesse qu’il
ne se fût mis au premier rang auprès des dames.
Alors on a crié : la Couronne ! et
le comédien Brizard est venu la lui mettre sur la tête. Ah !
Dieu, vous voulez donc me faire mourir ? s’est écrié M.
de Voltaire, pleurant de joie et se refusant à cet honneur.
(…) Le buste de M. de Voltaire, placé depuis peu
dans le foyer de la Comédie-Française, avait été apporté au
théâtre, et élevé sur un piédestal :
tous les comédiens l’entouraient en demi-cercle,
des palmes et des guirlandes à la main. Une couronne était
déjà sur le buste ; le bruit des fanfares,
des tambours, des trompettes avait annoncé la cérémonie… Nanine jouée,
nouveaux brouhahas, autre embarras pour la modestie du philosophe ;
il était déjà dans son carrosse, et l’on
ne voulait pas le laisser partir ; on se jetait sur les
chevaux, on les baisait, on a entendu même de jeunes poètes
s’écrier qu’il fallait les dételer
et se mettre à leur place, pour reconduire l’Apollon
moderne : malheureusement il ne s’est pas trouvé assez
d’enthousiastes de bonne volonté, et il a enfin
eu la liberté de partir, non sans des vivat, qu’il
a pu entendre encore du Pont-Royal et même de son hôtel.
M. de Voltaire, rentré chez lui, a pleuré de nouveau,
et a protesté modestement que s’il avait prévu
qu’on eût fait tant de folies, il n’aurait
pas été à la Comédie.
Nous présentons, pour illustrer cet événement,
une gravure de 1782 de Charles-Etienne Gaucher d’après
Moreau le Jeune intitulée Le Couronnement de Voltaire
le 30 mars 1778 après la sixième représentation
d’Irène.
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