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Par
Hervé Baudry-Kruger
Nous présentons
aujourd’hui ce portrait photographique de Gérald
Hervé, écrivain et philosophe français (1928-1998).
Cette photo, qui date des années 50, sera au centre de
la future exposition temporaire des Délices inaugurée
le 28 octobre prochain et consacrée à l’œuvre
de l’écrivain. Le texte de présentation qui
suit est signé Hervé Baudry-Kruger, commissaire
de l’exposition et président de l’association
« Mémoire et Justice » devenue
« Société des amis
de Gérald
Hervé ».

Gérald Hervé
est né le 17 décembre 1928 à Marseille, au
cœur du « populeux quartier d'Endoume ». Au dos
d'un faire-part, Charles Hervé, son père, avait
écrit un poème acrostiche pour célébrer
le nouveau-né, qui s'achève par ce vers : «
Dors en souriant au sort inconnu ! »
Plus tard, en 1986, Gérald
Hervé narra les épisodes d'une enfance vécue
au mitan du siècle, de l'entre-deux-guerres à la
Libération. Contrairement à Ernest Renan ou André
Gide, il rapporte ses souvenirs à travers l'histoire d'un
autre, celle de Gaëtan Jamblin dans Endoume ou le roman
d'une corniche. Oui, dans
« le roman d'une corniche » et non celui de ce personnage
en partie fictif. Car Gérald Hervé est d'abord l'homme
de cette corniche de Marseille qui, dans ce texte qu'il tenait
pour son « René méditerranéen
», fait ainsi une entrée remarquable dans la littérature
française. Il fut aussi le promeneur des corniches de Bretagne,
à la tangence de cette mer qu'il aimait tant. Comment ne
pas penser aux « Frères-de-la-côte »
dont Joseph Conrad, un de ses romanciers de prédilection,
avait raconté l'histoire ? Mais comment aussi, pour évoquer
ce que de dramatique le « sort inconnu » lui réservait,
oublier ce marin rejeté par la mer, de l'écrivain
japonais Mishima (une photographie de G. Hervé le montre
lisant ses Confessions d'un masque) ? Car cet homme né
pour elle en fut privé par les hommes. Que retenir d'autre
de cette enfance et de cette jeunesse marseillaises sinon que,
bercé par la mer, il répondit à son appel
pour y sceller, presque aussitôt, son destin ?
Officier de marine, par une journée radieuse de septembre
1953, il partit à bord d'un croiseur prestigieux à
l'assaut, tel un Rastignac des mers, du globe ; l'année
suivante, il se retrouva au bord d'une molle rivière d'Asie,
à quelques encâblures de Saïgon.
« Existe-t-il une géographie du destin? » s'est-il
demandé dans son premier livre, Des Pavois et des fers
(p. 114). Interrogation de marin, de voyageur. La réponse
vint en mai 1955, alors qu'il accomplissait son huitième
mois de carrière en qualité de commissaire de la
marine nationale. Au lieu de cette géographie planétaire
que d'autres avaient pu dévorer ? les Loti, Farrère,
Segalen, Melville, Conrad... ? il fut mis sous les verrous dans
un « placard », un « cagibi » pour s'être
avéré différent de ses semblables. Tombé
dans le filet de la Sécurité navale avec beaucoup
d'autres, demeurés les victimes anonymes d'une vaste opération
oubliée et qui fut l'un des apogées du maccarthysme
sexuel dans ces années charnières qui virent la
fin de la guerre d'Indochine et le début de celle d'Algérie.
Puis expulsé du corps de l'État qu'il avait intégré
à la suite d'un concours difficile.
« Je ne crois pas qu'il soit humain de lui briser la vie
» concluait l'officier chargé de l'enquête.
L'inhumain prévalut. Mais il ne fut pas le facteur de sa
vocation littéraire : Gérald Hervé, témoins
ses papiers personnels, écrivait depuis longtemps. Il avait
publié ses premiers textes en 1948, en compagnie de Pierre
Vidal-Naquet, son condisciple du lycée Périer à
Marseille, dont les parents avaient péri à Auschwitz.
Son œuvre, sa pensée, son existence, placées
sous le signe de l'exclusion, avaient perdu
le cap d'origine : « Mon intention était de
voyager, de rechercher les affectations les plus lointaines. »
(Des Pavois et des fers, p. 63.)
Un écrivain refait
toujours le même livre ; ou bien, dit-on de quelque autre,
il n'en a écrit qu'un. De cette dialectique un peu clichée
de l'un et du multiple, on retiendra qu'appliquée à
cette œuvre, elle permet de mettre en lumière son
extraordinaire cohérence, sa cohésion pour mieux
dire, sa densité quasi nucléaire et son intensité
solaire. Mais aussi sa multiplicité, encore quasi inviolée
puisque largement méconnue. Refaire toujours le même
livre, ce n'est pas répéter, mais recommencer, et
donc ne pouvoir jamais achever. En littérature, il n'y
a pas de point final. À la source vive de l'œuvre
romanesque et philosophique de Gérald Hervé, brûle
la blessure, la plaie inguérissable d'Amfortas ou du roi
Méhaigné. Écrire est l'acte le plus essentiel,
car être et écrire sont le même. Donc de quoi
« parle » l'œuvre ? De l'essentiel, disons :
d'écriture, avec de hauts personnages comme Bohor de Gannes
(père et fils) dans Les Hérésies imaginaires
ou Gaëtan Jamblin dans Endoume, et de voyages à
travers l'espace et le temps avec Grégori, le Marin d'Océanie
dans Les Feux d'Orion (ce sont trois grandes figures
romanesques, retenues ici à titre d'exemple), et d'enfance,
et de Temps, et de guerre, et d'amitié, et de beauté,
et de rêve, et d'amour, et de folie, et de mensonge, et
d'Histoire, et de mémoire, et de Dieu, et de naissance,
et de mort... Impossible aussi de la rattacher à un quelconque
courant : l'indépendance se conquiert dans leur assimilation,
s'est nourrie de toutes les littératures occidentales,
américaine, anglaise, française, russe, italienne...
Cette œuvre a l'ambition vaste, ardue, son caractère
fausto-prométhéen, qu'enrichit une profonde culture
philosophique et scientifique, n'apparaît pas d'emblée
tant l'intime, le recueilli et le retenu y imposent la marque
d'une intériorité creusée dans la liberté
d'esprit la plus méritée. Universalité et
confidentialité peuvent en être désignées
les pôles.
Œuvre quasi inconnue, disais-je. Cest le drame, et c'est
une bonne nouvelle. En effet, que dire d'une œuvre romanesque
et philosophique de la plus haute importance dont les deux tiers
demeurèrent inédits jusqu'à la mort de Gérald
Hervé, en 1998 ? Reprendre la triste notion de «
littérature de tiroir » qu'avait énoncée
son ami l'écrivain et poète Alain Guel ? Du placard
au tiroir, n'est-ce pas un raccourci terrifiant, mais ô
combien véritable pour parler de son sort ? Sur onze titres,
quatre furent publiés du vivant de l'auteur, le témoignage
(Des Pavois et des fers), deux romans (Le Soldat
nu et Les Hérésies imaginaires), un
essai philosophique (Le Mensonge de Socrate) ; puis tout
s'arrête en 1989.
Certes, pour comprendre ce qui s'est passé presque dix
ans plus tard, il faudrait reprendre l'interrogation sur la «
géographie du destin ». Car, tragique ironie du sort,
celui qui avait écrit : « Mes joies et mes tristesses
ne furent jamais celles d'un pays tropical » (Carnet
de mémoire et d'oubli, 28 novembre 1990), trouva la
mort, comme l'on dit, sous les tropiques, le 6 juin, des suites
d'un accident de baignade provoqué par un hors-bord à
Paradise Island (Bahamas), le 30 mai. Or, le 5 juin, il devait
signer contrat pour l'édition de son grand-œuvre de
philosophie La Nuit des Olympica (extraits en ligne www.iquebec.com/lesolympica).
Une bonne nouvelle aussi, car il en est de certaines œuvres
comme de terres inconnues : leur découverte n'est qu'un
prélude. Nous en sommes là. Que le lecteur, à
bon droit, s'exclame comme tel personnage des romans : «
Il y a tant de choses à voir ! » Sur le rivage de
cette œuvre, elles seront à lire, à imaginer,
à méditer. Une chose est sûre : l'injustice
n'a pas tari le souffle poétique « lorsqu'un jeune
homme de ce temps-là – et il n'était pas seul
– découvrait avec la puissance de l'idée toute
l'étendue de la pensée et, dans la clandestinité
encore, une poésie déjà libre ? (Oh ! Aragon.
Desnos. Char. Éluard – tant aimés !) »
(Carnet de mémoire et d'oubli, 17 décembre
1990.) Elle ne l'a jamais détourné non plus de la
quête, inlassable et des plus exigeantes, de la beauté.
« À toi qui aimes la beauté » lui écrivit
un ami, d'une lointaine escale, au dos d'une carte représentant
le Bouddha de Kamakura. L'œuvre doit aussi se prendre par
ce fil (d'Ariane) : le rêve des ailleurs et des antérieurs
dans une tragique lucidité par la quête sensuelle
de la beauté.
Œuvres de Gérald
Hervé
(par ordre de composition)
Le Regard de Rilke,
mars 1948 ; De Van Gogh à Artaud, juin 1948.
Le Paradis perdu de Pierre Loti, 1956 (essai de littérature),
rééd. in Orphée interdit, Soignies,
Talus d'approche, 2004.
Le Jeune Homme et le soleil ou les hérésies
imaginaires, 1956 (nouvelle), rééd. in Orphée
interdit, Soignies, Talus d'approche, 2004.
Orphée interdit [1959-60], Soignies, Talus d'approche,
2004 (essai).
Florence ou la ville aimée deux fois [1960], Soignies,
Talus d'approche, 2004 (théâtre).
*Des Pavois et des fers [1957, 1969], Paris, Julliard,
1971 (chronique).
*Le Soldat nu, Paris, Julliard, 1974 (roman).
*Le Mensonge de Socrate, Lausanne, L'Âge d'Homme,
1984 (essai).
Marseilles (Endoume ou le roman d'une corniche, La Margoule,
L'Orateur du genre humain : Anacharsis Clootz) [1985-6],
Soignies, Talus d'approche, 2003 (un roman et deux nouvelles).
Les Hérésies imaginaires, Lausanne, L'Âge
d'Homme, 1989 (roman).
Les Feux d'Orion [1989], Soignies, Talus d'approche,
2003 (roman).
Carnet de mémoire et d'oubli. La France 199... [1990-1],
Soignies, Talus d'approche, 2004 (journal).
Les Aventures de Romain Saint-Sulpice [1991], Soignies,
Talus d'approche, 2003 (roman).
La Nuit des Olympica. Essai sur le national-cartésianisme,
Paris, L'Harmattan, 1999, 4 vol. (essai philosophique).
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