Le monde ouvrier, le domaine de la consommation et la sphère du travail sont les terrains de réflexion de Delphine Reist qui les considère à partir des objets et des appareils (imprimantes, stores, caddies, bidons d'huile, chaises de bureau, machines, etc.) qui rendent possible toute activité en leur sein. L'artiste nous invite à les observer en l'absence de celles et ceux qui les opèrent. Ne reste plus que les objets qui fonctionnent seuls, s'animent, se vident de leur contenu, font du bruit, se dégradent, comme si leurs utilisateurs habituels n'avaient plus aucune raison d'être, sinon d'assister à leur aliénation. Après avoir pris l'empreinte de caisses de transport, d'enjoliveurs ou encore de chaînes à neige et créé un répertoire de formes ornementales d'origine inédite, Delphine Reist a réalisé, en 2024, une série d'impressions uniques en noir ou en rouge de pièces de fourrure et de paires de gants, au moyen d'un rouleau compresseur.
L'emploi d'un compacteur comme presse apparaît démesuré, voire barbare, par rapport aux objets, délicats, luxueux, restitués. Produits de consommation autrefois de valeur et aujourd'hui mal perçus en raison de la sensibilité à la condition animale, les fourrures contiennent l'histoire de celles qui les ont portées, mais aussi les traces de leur confection à la main. Chaque vêtement, imprimé sur fond blanc, se lit comme une image à charge dans laquelle on peut observer le moindre détail de sa fabrication soignée, grâce à la pression qui fut exercée par le cylindre du compacteur au moment du tirage. La forme en arc de ce Grand col ne rend pas l'accessoire aisément lisible. L'association de la couleur rouge et des poils chargés d'encre connote un imaginaire trouble évoquant par exemple une toison ensanglantée – celle peut-être de l'animal mort ou d'un sexe féminin.
Laurence Schmidlin