On entre dans l'univers de Vincent Kohler un peu comme dans un magasin de jouets, parfois désenchanté mais toujours avec le sourire : en revisitant les stratégies et l'iconographie du pop art, l'artiste s'approprie divers objets du quotidien, qu'il s'amuse à modifier et décaler, par des jeux de couleurs, de matières ou d'échelles, souvent par le gigantisme, comme pour faire écho au trop-plein de la surconsommation. "Désert solitaire" témoigne d'une nouvelle direction du travail de Vincent Kohler, qui consiste à réaliser des oeuvres « en hommage à » (« tribute to » en anglais) des artistes plasticiens ou écrivains particulièrement importants pour lui. La culture américaine, grandes étendues de l'Ouest comme monumentalités des interventions de land art, imprègne l'ensemble de son oeuvre. Ici, l'artiste se réfère au roman autobiographique de l'écrivain étasunien Edward Abbey (1927-1989), à la fois homme de lettres, militant écologiste, ranger dans l'Utah et anarchiste.
L'iconographie de cet ensemble de trois sculptures, pouvant être exposées en tant qu'installation et comme trois unités individuelles, reprend des motifs devenus des clichés : serpent à sonnette, corde (suggérant à la fois le lasso ou le pendu), environnement désertique et culte de la voiture et industrie du pétrole. Chez l'artiste, les images et l'imaginaire de l'Ouest américain soulèvent un sentiment ambivalent, à la fois d'admiration pour les paysages grandioses mêlé au malaise des dérives du capitalisme. La tension entre nature et artifice, voire artificialité, est transmise par des couleurs pop ou pastel en contradiction avec ce qu'elles représentent. Cette dimension de repoussoir et de distanciation est renforcée par les bandes sonores que diffuse chaque pièce : la bruiteuse singe la nature mais ne fait qu'en souligner l'aspect factice de sa représentation.
Yves Christen