Mathieu Baillif est mathématicien, mais il se fait connaître en 1997 sous le pseudonyme Ibn al Rabin par des bandes dessinées, fanzines et autres strips, au dessin minimal, souvent sans texte, d'une efficacité saisissante et d'un humour décalé et hilarant. Il pousse sa réflexion sur l'image, sur la narration, sur la forme même de la bande dessinée vers des chemins qui se veulent totalement ouverts, désinhibés, voire expérimentaux, la bande dessinée devenant un objet totalement malléable, éclaté, dans sa construction et dans son expression. Ibn al Rabin fait d'ailleurs partie de l'OuBaPo (Ouvroir de bande dessinée potentielle – sur le modèle de l'OuLiPo), où les auteurs se jouent de contraintes, génératrices ou transformatrices, qu'ils s'imposent eux-mêmes dans la réalisation d'un album. Avec d'autres oubapiens et amis ouvriers, Alex Baladi, Andréas Kündig et Yves Levasseur, il monte en 2003 La Fabrique à Fanzines, merveilleux petit atelier itinérant et participatif, dans lequel tout un chacun est invité à créer sa propre publication mise ensuite à la disposition du public. Ibn al Rabin est également musicien.
En 2008, alors qu'il réside en Argentine, Ibn al Rabin crée pour le Festival Viñetas Sueltas de Buenos Aires sa première bande dessinée conçue spécifiquement pour un espace d'exposition. C'est insatisfait par les expositions de bande dessinée et par leur manière de présenter cet art, en s'appuyant uniquement sur l'aspect graphique et délaissant la dimension narrative, qu'il conçoit un livre destiné à être manipulé par le public, lequel devient alors acteur de la construction et du rythme à donner au récit. Vaste ouvrage de plus d'un mètre de large, "La rumeur tue" se lit à revers : la première page plante le décor, urbain, et la narration se développe par superposition de calques, où une bulle entre dans une nouvelle relation avec une autre bulle, proposant une interaction d'événements nouveaux, imprévus, jusqu'à une issue fatale. Sur le principe du bouche à oreille, l'image et la situation de départ disparaît progressivement pour laisser place à une forme de « délire », tant du point de vue formel qu'au niveau du récit.
Stéphane Cecconi