Une saine et belle ambiguïté, une tendresse ironique, un trouble partagé entre imaginaire absurde et réalité sociale et historique sont autant d'attrapes dans le travail de Bertille Bak. Dans ses vidéos, ses installations ou ses photographies, Bertille Bak porte un regard anthropologique ou ethnologique décalé, doux-amer sur des problématiques, qu'elle connaît intimement, comme une petite histoire dans la grande histoire du nord de la France : les mines, la désindustrialisation, le chômage, l'urbanisation des cités minières, la vieillesse. A partir de ce contexte familial, l'artiste s'est progressivement ouverte avec le même regard et la même démarche à d'autres communautés, rattachées à des mémoires culturelles, territoriales et identitaires spécifiques – des religieuses âgées dans un couvent parisien, des tsiganes à Ivry-sur-Seine, des habitants d'un quartier de Bangkok menacés d'expulsion. Un long travail de contacts, de dialogues et d'échanges permet à l'artiste de construire en collaboration étroite avec ses « sujets » la représentation d'une situation vécue, c'est-à-dire qu'elle compose avec ces communautés d'individus, souvent mis en marge, un récit singulier dénonçant par l'absurde des conditions de vie et de travail fragiles et iniques. Mais nous sommes loin d'un constat de défaite, au contraire, dans cette action collective le recours à l'humour et à l'ironie servent à donner une forme subversive au discours.
« Faire le mur » – la vie quotidienne d'un quartier de Barlin, ville située dans le Pas-de-Calais, avec ses rituels, ses règles et ses habitudes et avec sa confrontation au problème de réhabilitation du quartier et du relogement de ses habitants. Derrière ce titre se cache la question de l'autorisation, avoir ou non l'autorisation de quitter le lieu ; ici, Bertille Bak prend à revers la formule, puisque le mur est bien construit, dans cette brique si caractéristique des corons, et sert de rempart à la promotion et à la spéculation immobilière. Interprété par la population du quartier, c'est davantage un jeu que met en place Bertille Bak dans cette vidéo, un jeu visant à contrer et à s'opposer à des décisions politico-économiques qui mettent en péril l'histoire et la culture du lieu, la qualité des liens sociaux, toute une humanité et une solidarité, dans leur spécificité vernaculaire. L'artiste invente avec cette communauté une manière de se dire, de se définir et surtout de se projeter autrement, à rebrousse-poil des lieux communs.
Stéphane Cecconi